mardi 14 juillet 2009

Francois Turgeon, Way to the centre


Question d’équilibre

La raison fuit les extrêmes, nous enseigne Molière. Qui sait? Peut-être
François Turgeon avait-il ce dicton en tête au moment d’entreprendre le
travail dont Way to Centre est le fruit bien mûr. C’est qu’il a pas mal
galéré, le jeune bassiste, avant d’en arriver à l’enregistrement de ce
premier CD. Entre ses années de formation académique au collège Vincent d’
Indy (où il a eu le bonheur de recevoir les leçons du contrebassiste-étoile
Michel Donato) et cet apprentissage non-formel et néanmoins nécessaire
acquis au fil des jam-sessions et des gigs diverses, Turgeon a atteint une
maturité remarquable pour son jeune âge.
De l’introduction percussive de «Street Kid» à la coda électronique de
«Sia», les dix plages de Way to Centre témoignent du souci manifeste de
François Turgeon pour l’agencement harmonieux de couleurs disparates en
apparence. Les influences sont multiples et superbement assimilées : clins-d
’œil à la musique traditionnelle indienne sur la pièce inaugurale, échos de
la jungle africaine dans «Road Rate», funk et groove urbains dans «4
People», spoken-word dans «In my head», climat langoureux proche de l’
ambient dans «Sia». Qu’on se rassure : Way to Centre ne donne ni dans le
capharnaüm sonore ni dans les emprunts faciles et racoleurs à la manière d’
une certaine musique dite «fusion». À l’instar du travail du groupe
québécois contemporain [Iks], la musique concoctée ici par François Turgeon
et ses complices réactualise l’héritage des meilleures formation de jazz
rock des années 70 (Miles Davis, Weather Report, Headhunters) selon une
esthétique qu’on pourrait qualifier de «World Metal Jazz».
Ici, l’habile juxtaposition d’éléments en apparence irréconciliables crée
une tension qui stimule les interventions inspirées des musiciens en
présence. En l’occurrence, au noyau formé de François Turgeon (basse), Simon
Lapointe (claviers) et Maxime Hébert (batterie) s’ajoutent des invités aussi
talentueux que Magella Cormier (batterie), Ramon Ortiz (percussions), Evans
Green (cythare), Laurent Royal (steelpan). Le disque tient sa force et sa
beauté de la remarquable cohésion entre eux, ainsi que de l’équilibre
toujours maintenu des passages écrits et des échappées improvisées. «J’
attache beaucoup d’importance à la direction de l’improvisation et des
dynamiques crées par les musiciens, affirme François Turgeon. Il me semble
plus important pour moi que nous soyons capable d’explorer sans avoir peur
de créer du nouveau que de répéter machinalement les compos.»
De Jimmy Blanton à Marcus Miller, en passant par Paul Chambers, Scott LaFaro
et l’éblouissant Jaco Pastorius, l’histoire du jazz et des musiques
improvisées est prodigue en virtuoses de la basse acoustique ou électrique,
dont les audaces et les prouesses ont fait office de trampoline pour les
élans des musiciens qui les côtoyaient. Relativement peu d’entre eux sont
cependant restés dans nos mémoires à titre de chefs d’orchestre et de
compositeurs. Bien sûr, on songe au monumental Charles Mingus, à Charlie
Haden, à Dave Holland, à Alain Caron, à Normand Guilbeault, à quelques
autres encore… quoiqu’on hésite à avancer davantage de noms. Sans doute
serait-il prématuré de prédire que celui de François Turgeon s’ajoutera à
cette liste. À l’écoute de Way to Centre, qui nous offre un aperçu de ses
formidables talents de compositeur, de catalyseur et de performer, on se
surprend néanmoins à penser que Turgeon méritera éventuellement une place
dans ce club sélect. En tout cas, on lui souhaite.


Stanley Péan
Écrivain et amateur de jazz



A matter of balance

Reason flees the extreme, as Molière teaches us. Who knows? Maybe François
Turgeon had this saying in mind when he undertook the project which gave
birth to Way to Center. For as young as he may be, the gentleman has paid
some dues in the years prior to the recording of this first CD. Between his
years of academic training at Collège Vincent d'Indy Vincent (where he had
the opportunity to study with bass superstar Michel Donato) and the informal
yet necessary apprenticeship gained in various jam-sessions and gigs,
François Turgeon quickly attained a remarkable maturity.
From the percussive introduction of «Street Kid» to the electronic coda of
«Sia», the ten tracks on Way to Center demonstrate Turgeon’s preoccupation
with the harmonious l'agencement of apparently disparate colors. The
influences are many and superbly assimilated: a wink to the traditional
Indian music on the opening tune, echoes of the African jungle in «Road
Rate», funk and urban groove in «4 People», spoken-word styling in «In my
Head», languorous mood reminiscent of ambient music in «Sia». Fortunately,
Way to Center isn’t about sonic chaos nor the superficial borrowings we’ve
grown used to hear in much of the so-called «fusion jazz». Like the work of
the Quebecois contemporary band [Iks], the music concocted by Turgeon and
his accomplices reactualizes the legacy of the best jazz-rock combos from
the 70’s (Miles Davis’ groups, Weather Report, Headhunters), in an
aesthetics that might be called «World Metal Jazz».
Here, the skillful juxtaposition of seemingly irreconcilable elements
creates a tension that stimulates inspired interventions from the musicians.
The rhythm trio formed by leader and bassist François Turgeon, keyboardist
Simon Lapointe and drummer Maxime Hébert welcomes such talented guests as
drummer Magella Cormier, percussionist Ramon Ortiz, cithara player Evans
Green and steelpan master Laurent Royal. The disc owes much of its appeal
and beauty to the remarkable cohesion between these cats and to the balance
between written passages and flights of improvisation. «I am very much
preoccupied with the direction of improvisation and with the dynamics
created by the musicians, says Turgeon. To me, it is important that we
thoroughly explore the tunes without being afraid of recreating them instead
of mechanically repeating the written themes.»
From Jimmy Blanton to Marcus Miller, through Paul Chambers, Scott LaFaro and
the dazzling Jaco Pastorius, the history of the jazz and improvised music is
lavish with acoustics and electric bass virtuosos, whose audacities and the
prowess served as trampoline for their bandmates momentum. However,
comparatively few of them remain in our memories as outstanding bandleaders
and composers. Of course, we think of the monumental Charles Mingus, of
Charlie Haden, of Dave Holland, of Alain Caron, of Normand Guilbeault, and
of maybe some others… yet one hesitates to evoke anymore names. It would
undoubtedly be premature to predict that François Turgeon shall eventually
make that short list. Still, Way to Center offers us such a sample of his
formidable talents as composer, catalyst and performer that one heartily
wishes Turgeon do join this select club.

Stanley Péan
Novelist and jazz enthusiast Lorem

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